Rituel pour nos bébés qui ne sont pas nés…
Fausses couches… Vraies souffrances, vrai deuil à faire de cette vie minuscule qui s’en est allée, et nous a laissée seule sur le rivage, le ventre vide, le coeur et le corps ravagés, les oreilles fermées à toutes ces paroles qui se veulent consolantes et qui ne sont pour nous que violence…
Et vous avez combien d’enfants ? Quand on me pose cette question dans le social, je réponds « trois ». Mais mon utérus, lui, sait que la vraie réponse est « six ». J’ai trois enfants vivants, Julie, Nicolas et Valentine, et j’ai trois enfants morts, Tatjana, Guillaume et Thibaut. Deux fausses couches et une ivg. Tatjana est venue la première, Guillaume et Thibaut en dernier. Voilà ma vérité. J’ai fait le deuil, je suis pleinement dans la vie, mais ces bébés qui ne sont pas nés ont laissé leur marque en moi, tant dans mon corps que dans mon esprit, et même dans ma vie. Je ne voudrais pas qu’il en soit autrement et je les remercie pour leur passage, aussi bref qu’il ait été. Pour moi, dès la conception, il y a vie, il y a une « âme » qui cherche à s’incarner. Ce sont mes croyances, et je respecte toutes les autres. Et je considère en même temps que l’avortement est un droit inaliénable des femmes.
Chacun de mes enfants, mort ou vivant, m’a aidée à devenir la femme que je suis. Quand je suis née, mon contrat de vie était « Tu seras un homme, ma fille ». Et j’ai vaillamment tenté d’y obéir : animus sur-développé, mental sur-valorisé, études d’ingénieur, j’ai vécu comme un homme dans un monde d’hommes, étouffant ma créativité et ma sensibilité. L’expérience de la grossesse et de la maternité, de la vie et de la mort, la découverte du monde des foetus et des bébés m’a permis de réveiller la femme en moi, et de la contacter. J’étais une femme, mais pendant longtemps je ne connaissais rien des femmes, ni de la femme en moi. C’est alors que j’ai décidé de devenir psychothérapeute. Et sur ce chemin de re-naissance, l’existence de mes enfants m’a beaucoup soutenue et inspirée. Devenir mère m’a permis de rencontrer la femme, dans toutes ses dimensions.
En tant que psychothérapeute, j’accompagne les femmes dans les passages de leur vie. Puberté, maternité, deuils, ménopause… Spontanément, les femmes parlent peu de leurs fausses couches, sauf si elles sont très récentes. Elles ont intégré que, pour la société, c’est un non-événement, surtout si elles ont d’autres enfants. Mais j’ai constaté que la blessure reste vive et peut « suinter », même des années après, même si la vie a continué, même si d’autres enfants sont nés, même si le déni s’est installé. Parce que même si biologiquement ce n’est pas encore un enfant, même si juridiquement la vie n’est pas encore là, pour la plupart des femmes, c’est déjà un bébé, dans leur tête, dans leur coeur, dans leur imaginaire, au plus profond de leur ventre. Non, ce n’est pas un « amas de cellules », non, ce n’est pas « mieux comme ça », oui, peut-être on « en fera un autre », mais ça ne remplacera jamais celui-là. Il y a là un deuil à vivre, qui n’est pas entendu par la société, et qui l’est rarement par l’entourage.
Pour les hommes, ils me confient leur désarroi et parfois leurs peurs devant cette souffrance de leur compagne, qu’ils peuvent vivre eux aussi dans leur tête et dans leur coeur, mais pas dans leur corps. Cela peut les conduire, dans l’intention de se protéger et de la protéger, à nier leur souffrance et à ne pas accueillir l’expression de celle de leur femme.
Une fausse couche a des conséquences à long terme, sur le plan énergétique, pour les enfants à venir et les générations futures, pour la relation amoureuse. Notre utérus garde la trace de tout ce que nous vivons, c’est aussi l’organe des transmissions transgénérationnelles. Un deuil non fait se répercute sur les générations suivantes, comme nous le montre la psychogénéalogie. Un sac de rancoeur peut s’installer dans le couple.
Nous vivons dans un monde où les rituels qui naguère accompagnaient les grands événements de la vie, heureux ou malheureux, disparaissent de plus en plus. Ceci est particulièrement vrai pour la mort, surtout celle d’un foetus dans les trois premiers mois de sa vie. Il n’y a pas d’espace pour le chagrin, la colère, la révolte des mères endeuillées. L’entourage, plein de bonnes intentions, conseille de « tourner la page ». Mais même si l’on tourne la page, le livre reste le même.
Le rituel est un processus puissant qui permet la réparation et la transformation, même des années après. Alors, j’ai créé des rituels de deuils. D’abord individuels ou en couple puis dans le cocon sécurisant de groupes de femmes. Un week end dans un lieu chaleureux, en contact avec la nature, pour donner à ces enfants et aux femmes qui les ont accueillis un espace temps de parole, de partage, d’accueil de toutes les émotions. Oser montrer sa souffrance, élaborer et vivre un rituel de deuil avec le soutien des autres femmes, permet de trouver une véritable paix, de cicatriser les blessures, émotionnelles, organiques, énergétiques, de mettre du sens et d’ainsi retrouver pleinement son chemin de vie. Et bien que les pères y soient absents, ce rituel en groupe permet de faire circuler dans le couple (quand il existe toujours, car les deuils sont parfois très anciens), de la parole, de l’émotion, du symbolique. Le rituel nettoie, désenkyste ce qui souvent empêchait la vie de circuler fluidement.
Vivre le deuil permet de le dépasser. L’important est de ne pas enfouir ses émotions. Non, ce n’est pas morbide de s’autoriser à vivre la mort d’un embryon comme la mort d’un bébé, c’est au contraire se donner toutes les chances de rester dans la vie.
Alors pleurez votre bébé, donnez lui un prénom, une existence, donnez lui une place dans la fratrie, écoutez votre coeur et votre imagination, créez votre propre rituel. Et donnez vous le temps et l’amour nécessaires…
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2 commentaires
merci!
merci pour ces très belles paroles qui m ont touchée et fait sens pour moi là ou j avais entendu « arrêtez de pleurer. vous êtes jeune. vous aurez d autres enfants… » entendues d un gynéco qui ne devrait plus avoir le droit d exercer